Quantifier signifie « exprimer et faire exister sous une forme numérique ce qui, auparavant, était seulement exprimé par des mots et non par des nombres »[i]. La quantification n’est pas seulement une méthode. Elle a également des effets sociaux et politiques.  En fait, dans le domaine des sciences économiques et sociales, le mot « mesurer » induit en erreur parce qu’il « laisse dans l’ombre les conventions de la quantification »[ii] qui se décompose en deux moments « convenir » (notamment par l’intermédiaire de classifications et de classements) et « mesurer ». La quantification ne produit pas seulement un reflet de la réalité, mais elle « transforme » également ce reflet par l’intermédiaire des conventions.

La contribution s’inspire du nom d’une association française (association Pénombre ) qui souhaite offrir « un espace de réflexions et d’échanges sur l’usage du nombre dans le débat public »[iii]. Il s’agit de « relier les questions de méthode et de présentation, le pain quotidien des producteurs de données, avec les enjeux politiques et sociaux du recours à l’information chiffrée, qui concernent les ‘utilisateurs’ de chiffres »[iv].  Un autre défi de la quantification est l’actualité des chiffres. Or la production rapide des chiffres est souvent antinomique avec la qualité des statistiques. A cela s’ajoute qu’au Luxembourg la taille des échantillons est relativement importante par rapport à la population, mais que cette taille est généralement insuffisante pour produire des chiffres fiables à un niveau très désagrégé. Comme les enquêtes n’offrent  pas toujours les réponses à des questions de recherche ou à des demandes politiques, la question de l’utilisation des données administratives se pose évidemment (avec les  corollaires de la protection des données et des investissements en temps et en ressources dans les bases de données administratives).

Dans les deux domaines – production et utilisation des statistiques – il y a des contresens, des ambiguïtés et des difficultés d’interprétation souvent méconnues ou mal connues. Ce qui est d’autant plus préoccupant que l’utilisation des statistiques sert de plus en plus souvent de principale  justification (scientifique) des politiques et que l’évaluation des politiques publiques est largement basée sur la quantification. La pratique du « ranking », très en vogue, fait appel à  des données qui sont très (trop) souvent agrégées au sein d’indices dont la signification n’est pas univoque et même parfois trompeuse. Au-delà d’une objectivation générale (imprécise dans beaucoup de cas), la statistique peut-elle apporter une certitude, respectivement, une « métrologie » inattaquable de la réalité ?

Sur base d’exemples de statistiques sociales, économiques et historiques luxembourgeoises, les questions évoquées seront illustrées et discutées. Comme le note l’association « Pénombre », en discutant « on n’a pas toujours la solution, mais on se sent moins seul ».

[i] Desrosières Alain, Kott Sandrine, « Quantifier. », Genèses 1/2005 (no 58), p. 2-3

URL : www.cairn.info/revue-geneses-2005-1-page-2.htm.

[ii] idem

[iii] http://www.penombre.org/

[iv] idem